Le mobbing, depuis quelques années au cÅ“ur des recherches sur les violences professionnelles, a ceci de particulier qu'il peut s'exprimer sans contact physique entre l'agresseur et sa victime. Basé sur le harcèlement moral, son milieu privilégié est celui des relations sociales soutenues, notamment sur le lieu de travail
Le mobbing se développe avant tout dans les environnements professionnels en crise, où l'individu peut rationaliser le harcèlement des victimes par la nécessité de méthodes expéditives. L'agresseur agit d'autant mieux dans une entreprise que celle-ci est instable, désorganisée, mal structurée. Il lui suffit de trouver la brèche qu'il creusera pour assouvir son désir de pouvoir. La stratégie, explique Marie-France Hirigoyen, est toujours la même, l'agresseur « utilise les faiblesses de l'autre et l'amène à douter de lui-même. La destruction se fait d'une façon extrêmement subtile jusqu'à ce que la victime elle-même se mette dans son tort.»
Le jeu pervers du harcèlement moral fait que ce n'est pas son intensité qui est toxique, mais sa fréquence. La répétition d'agressions peu spectaculaires a pour but de saper la confiance des victimes. Celles-ci, mal protégées par des outils juridiques réservés aux violences les plus visibles, trouvent peu de compréhension dans leur environnement, qui a encore souvent tendance à sous-estimer la gravité de tels actes.
La recherche permanente du conflit dans le mobbing n'est pas innocente. Elle poursuit un but précis: l'agresseur tente de masquer ses difficultés personnelles, qui l'empêchent de fonctionner de façon efficace dans son environnement professionnel. Il projette ses inadéquations sur ses victimes, en les harcelant, rendant celles-ci responsables de ses propres dysfonctionnements. Les équilibres à trouver sont cependant fragiles. L'agresseur ne peut dépasser certaines limites, sans cela il mettrait en danger son avenir professionnel. Il se voit dans l'obligation de modérer l'intensité de sa violence dans le but de la dissimuler, tout en la répétant de façon suffisamment fréquente pour profiter des effets de stimulation interne qu'il recherche.
L'agresseur, dans le mobbing professionnel, donne l'illusion d'accepter les règles en vigueur sur son lieu de travail. Il les manipule en réalité adroitement afin d'éviter les instruments de répression de la collectivité et de garantir son statut social. Bien qu'extrêmement néfastes pour les victimes, le mobbing reste ainsi souvent dissimulé, confiné à l'intérieur de limites qui permettent à leurs auteurs de compenser leurs inadéquations sans tomber dans la criminalité. Robert Sutton a analysé les stratégies de dissimulation les plus habiles des «sales cons», qui justifient leur violence au nom du bien de l'entreprise. «Les gens qui hurlent, insultent et humilient leurs subordonnés sont faciles à repérer. Les hypocrites, qui sont suffisamment maîtres de leurs émotions pour frapper uniquement lorsqu'ils ne risquent rien, sont plus difficiles à arrêter.»
Le caractère secret du mobbing le rend très difficile à supporter pour les victimes, souvent isolées, et qui doivent fréquemment affronter seules des vexations permanentes. L'esquive devient impossible, la conciliation aussi bien que la haine étant non seulement inutiles, mais contreproductives dans les relations avec l'agresseur. En s'efforçant d'apparaître bienveillant avec l'agresseur (conciliation), on ne fait que lui montrer à quel point on lui est supérieur, ce qui réactive sa violence. Quand la haine survient en retour chez l'agressé, remarque d'autre part Marie-France Hirigoyen, « les pervers se réjouissent. Cela les justifie: «Ce n'est pas moi qui le/la hait, c'est lui/elle qui me hait.»
Que faire pour diminuer ces actes de violence sur le lieu de travail? L'agent du FBI John Douglas encourage la communication institutionnelle afin de permettre aux employés de ventiler leurs humiliations. «Une mesure efficace que peuvent prendre les compagnies consiste à mettre à disposition des ressources pour les employés lorsqu'ils ont besoin d'aide. Ils doivent savoir que ces ressources existent, et que cela ne sera pas retenu contre eux s'ils les utilisent. De nombreux conflits peuvent être résolus avant qu'ils n'atteignent un seuil critique si l'employé sait qu'il a une alternative, et qu'il peut communiquer ses difficultés. Avec une telle structure, il sait qu'il pourra trouver aide et réconfort.»
La communication institutionnelle, pour autant qu'elle soit sincère, permet aux employeurs de dédramatiser les conflits, et aux employés de disposer d'un espace neutre où exposer leurs difficultés personnelles. Elle offre aux individus se sentant humiliés des outils leur donnant les moyens d'éviter les alternatives négatives, la dépression, le ressentiment, ou, dans les cas les plus violents, la vengeance contre les employeurs.